Profitez de votre jeunesse
Mignonne, allons voir si la rose, de Ronsard
À Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir!
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse:
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
Le temps vainc la beauté, de Ronsard
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant,
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle! »
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain:
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
Une Charogne, de Charles Baudelaire
Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux:
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un Å“il fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion!
Oui! telle vous serez, ô reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses.
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés!
Corpse (de BJ Winslow)
L’instant fatal, de Raymond Queneau
Si tu t’imagines
Si tu t’imagines
Fillette, fillette
Si tu t’imagines
Xa va xa va xa
Va durer toujours
La saison des za
La saison des za
Saisons des amours
Ce que tu te goures
Fillette, fillette
Ce que tu te goures
Si tu crois petite
Si tu crois ah ah
Que ton teint de rose
Ta taille de guêpe
Tes mignons biceps
Tes ongles d’émail
Ta cuisse de nymphe
Et ton pied léger
Si tu crois petite
Xa va xa va xa
Va durer toujours
Ce que tu te goures
Fillette, fillette
Ce que tu te goures
Les beaux jours s’en vont
Les beaux jours de fête
Soleils et planètes
Tournent tous en rond
Mais toi ma petite
Tu marches tout droit
Vers c’que tu n’vois pas
Très sournois s’approchent
La ride véloce
La pesante graisse
Le menton triplé
Le muscle avachi
Allons allons cueille
Les roses les roses
Roses de la vie
Et que leurs pétales
Soient la mer étale
De tous les bonheurs
Allons cueille cueille
Si tu le fais pas
Ce que tu te goures
Fillette, fillette
Ce que tu te goures

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