Archive pour le 8 octobre, 2006

Ballade des Dames du Temps Jadis, de François Villon

Dictes-moy où, n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cuisine germaine;
Echo, parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine?
Mais où sont les neiges d’antan!

Où est la très sage Heloïs,
Pour qui fut chastré et puis moyne
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys?
Pour son amour eut cest essoyne.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust gecte en ung sac en Seine?
Mais où sont les neiges d’antan!

La royne Blanche comme ung lys,
Qui chantoit à voix de sereine,
Berthe au grand pied, Bietris, Allys;
Harembourges, qui tint la Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglois bruslèrent à Rouen;
Où sont-ils, Vierge souveraine?…
Mais où sont les neiges d’antan!

Prince, n’enquerez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Que ce refrain ne vous remaine:
Mais où sont les neiges d’antan!

 

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Flora (du Titien)

 

Dites moi où, et n’en quel pays,
Est Flora la Belle Romaine,
Achipiadès, ni Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine?
Mais où sont les neiges d’antan?

Où est la sage Héloïse,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Abélard à Saint-Denis?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fut jeté en un sac en Seine?
Mais où sont les neiges d’antan?

La reine Blanche comme lys
Qui chantait à voix de sirène,
Berthe au grand pied, Biétris, Alis
Haremburgis qui tint le Maine,
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen;
Où sont-ils, où, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d’antan?

Prince, n’enquerrez de semaine
Où elles sont, ni de cet an,
Qu’à ce refrain ne nous ramène;
Mais où sont les neiges d’antan?

Publié dans:Littérature française |on 8 octobre, 2006 |Pas de commentaires »

Un hémisphère dans une chevelure, de Charles Baudelaire

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j’entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques, il me semble que je mange des souvenirs.

Le Spleen de Paris


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Tableau de Paul Gauguin

Publié dans:Littérature française |on 8 octobre, 2006 |Pas de commentaires »

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